
Huit ans après le lancement du Plan Eau Dom (Pedom), destiné à améliorer la gestion de l’eau potable et de l’assainissement dans les territoires ultramarins, le constat dressé par la Cour des comptes est accablant. Derrière les chiffres et les mécanismes de financement se cache une gestion chaotique des élus locaux, marquée par des conflits de gouvernance, des infrastructures en ruine et une incapacité chronique à assurer un service de base aux populations.
Des millions investis, mais une eau toujours inaccessible
Depuis 2016, 2,3 milliards d’euros d’investissements ont été prévus pour améliorer la distribution d’eau et l’assainissement en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin. Pourtant, la situation ne cesse de se dégrader. En Guadeloupe et à Mayotte, les coupures d’eau restent quotidiennes. En Guadeloupe, les taux de fuite des réseaux dépassent parfois 60 %, une aberration technique et financière.
Comment expliquer ce gouffre entre les moyens mobilisés et la réalité sur le terrain ? La réponse tient en grande partie dans l’incurie des autorités locales, incapables de gérer efficacement les services publics de l’eau. Conflits politiques, absence de suivi des investissements, contrats de concession opaques, la gestion de l’eau en Outre-mer est devenue un terrain miné par les intérêts locaux et le manque de vision à long terme.
Des élus dépassés par leur propre incompétence
Le syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) illustre parfaitement cette gestion calamiteuse. Créé en 2021 après la dissolution du SIAEAG, il devait enfin assurer une gouvernance centralisée et efficace. Résultat ? Une explosion des dettes, des fuites d’eau jamais réparées et un service encore plus inefficace qu’auparavant. Le comble : les élus locaux eux-mêmes peinent à comprendre les mécanismes de financement qu’ils sont censés piloter.
La Cour des comptes pointe également un manque flagrant de contrôle sur les opérateurs privés délégataires de service public. Des contrats sont signés sans garanties de performance, et les usagers, eux, continuent de payer des factures exorbitantes pour un service inexistant. À Mayotte, le prix de l’eau représente jusqu’à 25 % du revenu des foyers les plus précaires, une situation intenable.
La Guadeloupe : le symbole d’un fiasco politique
Parmi les territoires les plus touchés, la Guadeloupe incarne à elle seule l’échec retentissant des élus locaux dans la gestion de l’eau potable et de l’assainissement. Depuis des décennies, la gestion de l’eau y est une véritable bombe sociale, marquée par des coupures d’eau régulières, une infrastructure vétuste et une gouvernance chaotique. La dissolution du SIAEAG (Syndicat Intercommunal d’Alimentation en Eau et d’Assainissement de la Guadeloupe) en 2021 a été un aveu d’échec cuisant pour les responsables politiques locaux, incapables de gérer efficacement ce service public essentiel.
Mais la création du SMGEAG, censée tourner la page, n’a fait qu’aggraver la situation. Aujourd’hui, les Guadeloupéens subissent toujours des coupures d’eau fréquentes, parfois pendant plusieurs jours consécutifs, malgré les millions d’euros injectés par l’État. Les principaux acteurs politiques – les présidents d’intercommunalités, la région et le département – se renvoient la balle, multipliant les promesses non tenues. Les décisions se prennent sans vision claire, et les conflits internes bloquent toute réforme ambitieuse. Résultat : une dette colossale, un service public en déroute et des usagers laissés pour compte.
Les échecs successifs des élus locaux, montrent l’incapacité des responsables locaux à imposer une véritable réforme structurelle. À cela s’ajoute le rôle ambigu de certains élus municipaux et intercommunaux, souvent plus préoccupés par des enjeux électoraux que par la gestion efficace de l’eau. En parallèle, les associations de consommateurs et certains collectifs citoyens dénoncent une absence totale de transparence, des contrats opaques avec les délégataires de service et un mépris des habitants qui subissent cette situation depuis trop longtemps.
Un État contraint de reprendre la main
Face à ces échecs répétés, l’État n’a eu d’autre choix que d’intervenir directement, reprenant ponctuellement la gestion de l’eau dans certaines collectivités. En Guadeloupe, un contrat d’accompagnement renforcé a été signé en 2023 entre l’État, la région et le département pour tenter de remettre le SMGEAG sur les rails. Mais ces mesures restent des rustines sur une gouvernance en faillite.
Le paradoxe est frappant : alors que l’eau est une compétence décentralisée, les élus locaux sont incapables d’assurer leur mission, obligeant l’État à revenir en gestion directe, ce qui va à l’encontre du principe même de la décentralisation. Un désaveu total pour les responsables locaux.
Quelle issue pour sortir du naufrage ?
La Cour des comptes recommande plusieurs mesures pour tenter de redresser la situation :
- Un contrôle accru des délégataires privés pour éviter les contrats laxistes et les surfacturations.
- Une gouvernance locale plus efficace, avec une implication réelle des citoyens et des usagers.
- Une refonte du financement, en responsabilisant les collectivités sur leur part d’autofinancement.
- Une tarification plus juste et un meilleur recouvrement des factures pour éviter que les déficits ne s’accumulent.
Mais au-delà des recommandations techniques, la véritable question est politique : les élus ultramarins sont-ils prêts à assumer enfin leurs responsabilités ? Tant que les querelles internes et la gestion clientéliste primeront sur l’intérêt général, les populations continueront à souffrir d’un service public aussi vital que l’accès à l’eau potable.
En attendant, c’est encore l’État qui joue les pompiers, et ce, au prix de centaines de millions d’euros qui auraient pu être bien mieux utilisés.
Jean-Yves FRIXON
Planning des tours d’eau en Guadeloupe : coupures programmées du 10 au 16 mars 2025
le planning des tours d’eau mis en place en Guadeloupe du 10 au 16 mars 2025. En raison des difficultés persistantes d’approvisionnement en eau potable, des coupures sont programmées dans plusieurs communes, notamment Les Abymes, Gosier, Capesterre-Belle-Eau, Trois-Rivières, Goyave, Gourbeyre, Sainte-Rose, Sainte-Anne et Saint-François. Ces interruptions de service suivront un calendrier précis, avec des horaires de restriction variant généralement de 18h à 8h ou de 20h à 6h, selon les zones concernées.
Le planning spécifie les quartiers affectés et les modalités de distribution, avec certaines localités touchées plusieurs jours consécutifs. Ces mesures visent à garantir un approvisionnement équitable face aux pénuries, mais elles soulignent également la crise persistante de la gestion de l’eau en Guadeloupe, où les infrastructures vétustes peinent à assurer une distribution continue.